J’ai régulièrement été accusé d’être “lent” dans ma vie. Par mes proches, professionnellement et même par la personne qui partage ma vie. Plus jeune, je trouvais ça plutôt injuste. Aujourd’hui, je le revendique (presque) fièrement.
Nous sommes vendredi au moment où j’écris ces lignes. Semaine après semaine, le vendredi est devenu une journée clé pour moi, en particulier depuis que j’ai lancé mon activité de Webdesigner en indépendant.
Car le vendredi, c’est la journée que je m’octroie pour prendre mon temps. Si je veux travailler au service de mon activité, je le fais sans objectifs de “productivité”. S’il me prend l’envie de rêvasser, je le ferai sans complexe. Si l’envie de faire de l’associatif, de l’humanitaire, jardiner, cuisiner, donner des cours ou encore consacrer du temps à mes proches me prend, j’ai un jour dédié pour cela : il s’appelle “vendredi”.
En somme, c’est le jour que je garde pour concilier mon épanouissement intellectuel ET philosophique. Mais pourquoi vouloir absolument s’octroyer un tel luxe ?
Je suis ce qu’on pourrait appeler “un émotif” / hypersensible”, flirtant sans doute un peu trop avec un profil de “zèbre” avec lequel j’apprends encore à vivre. J’ai longtemps réussi à maintenir un rythme extrêmement soutenu intellectuellement. J’étais ce gamin à qui on a dit qu’il avait “des facilités”, qu’il percutait vite. Cet étudiant qui s’impliquait “avec passion” dans tout ce qu’il fait et qui avait encore l’énergie d’aider les autres à progresser après cela.
Et puis je suis rentré dans la vie active. J’ai commencé à entendre parler de concepts comme “productivité”, “deadlines”, “capitaliser sur son temps”, d’échéance “pour hier”, etc.
C’est à ce moment là que tout est parti en vrille.
En 2015, j’intègre une agence de communication en tant qu’intégrateur. J’avais pour mission de coder et / ou déboguer des sites internet à partir de maquettes graphiques conçues par mes collègues. J’avais seulement une poignée de jours pour réaliser cette tâche, qui, en amont ayant été imaginée pour “réduire au maximum les coûts”. C’était une frustration en soi car je savais pertinemment que qualitativement, le travail que j’envoyais ne valait pas un clou et me reviendrait plus tard en pleine figure. Pourtant, cette recherche de sens et cette envie de faire des choses pérennes étaient au centre de mon système de valeurs.
De temps en temps, dans mon coin, je prenais un peu de temps pour essayer de produire un code plus “propre”, plus durable, plus évolutif. “Temps gaspillé égoïstement” comme on me le rappelait bien. Temps que je n’avais pas à prendre, et surtout pas de ma propre initiative.
À la fin de la journée, on me demandait de me connecter sur une plateforme en ligne pour “rentrer mes temps” sur une base dix. J’ai ainsi découvert qu’1h10 de mon temps à programmer sur le projet de quelqu’un qui a investi quelques milliers d’euros sur un site web, cela correspond à “1,17” dans une case d’un tableau sur ce logiciel.
Ce rituel – bien que j’en comprenne l’intérêt d’un point de vue économique – me renvoyait systématiquement à la scène d’ouverture du film “Les Temps Modernes” avec Chaplin.
Et puis un jour, de retour d’une pause cigarette après une matinée durant laquelle 3 projets que j’avais dû bâcler me revenaient en pleine figure à seulement 10 h 15, j’ai vu le long couloir que j’arpentais pour revenir à mon bureau, tanguer. C’était terminé pour moi, impossible de revenir.
Un “exploit” que j’ai renouvelé 2 ans et demi plus tard avant d’enfin me dire “tu ne seras jamais fait pour cette cadence”. Le constat était toujours le même et partagé par mes managers successifs :
“Tu fais bien les choses mais tu n’es pas assez productif / efficace pour nous, tu fais tes “petits trucs” dans ton coin mais nous on a une boîte à faire tourner !”
Au cours de ces 4 dernières années d’open-spaces et d’agences, il s’est opéré une mutation progressive en moi. En rentrant de mes journées, j’ai petit à petit ressenti le besoin thérapeutique de me trouver des occupations éloignées du virtuel, qui me définiraient “en dehors du bureau”. Des activités que je pouvais peaufiner à loisir, en réponse à une cadence imposée le reste de mes journées.
D’abord le jardinage (option aromatiques), la conception de meubles en carton, la cuisine, la boulangerie. Des occupations où la qualité du résultat dépend finalement beaucoup du temps qu’on est prêt à y consacrer.
Un temps nécessaire que j’aspire à consacrer aux projets sur lesquels j’exerce aujourd’hui en étant à mon compte. Je ne crois résolument pas au “vite fait bien fait”.
C’est devenu mon crédo professionnel : mettre mes compétences au service de causes et personnes qui sauront apprécier le soin que j’y apporte, même dans les détails insignifiants. J’aime l’idée de prendre la liberté de m’attarder en amont à l’élaboration de solutions (notamment techniques) durables & évolutives, quitte à “perdre du temps” durant leur conception.
J’ai toujours estimé que ce temps d’approfondissement et de peaufinage n’était qu’un investissement sur le long terme, qui payerait largement plus tard. 6 mois après mon lancement, je considère être encore dans les peaufinages avant d’avoir mon rythme de croisière. Mais peu importe puisque je compte façonner cette activité à mon rythme, pour la porter durant les années à venir. “Il faut ce qu’il faut”.
Entre temps, quelques lectures et visionnages ont été de puissants déclics dans mon cheminement professionnel et intellectuel :
- L’entreprise libérée – Christophe Collignon (Web2Day 2015)
- Pourquoi l’école tue la créativité ? – Ken Robinson (TED)
- Le temps c’est de l’argent – Un film de Cosima Dannoritzer, Produit par Polar Star Films et YUZU Productions en coproduction avec ARTE France
- Je pense trop – Christel Petitcolin
- Éloge de la lenteur – conférence au TED du journaliste Carlos Honoré, auteur du livre “Éloge de la lenteur”
- Le mouvement “Slow Life”
Parallèlement à cela, je me suis rendu compte que ce parcours professionnel un brin chaotique m’avait fragilisé d’un point de vue émotionnel jusqu’à aujourd’hui encore : mon seuil de tolérance de la pression a beaucoup diminué, comme ci mon cerveau ne la supportait plus. Je me fais donc encore régulièrement bousculé dans des situations du quotidien là où j’aurai spontanément préconisé la réflexion ou encore la contemplation.
Une lenteur (presque) assumée pas toujours comprise, parfois moquée mais pourtant nécessaire pour que je puisse donner ce que j’ai à (vous) donner sans y laisser des plumes en route.
Ainsi, mardi dernier je me suis autorisé à “faire le mur” et d’aller me balader au parc de Procès de Nantes, en plein après-midi, en pleine semaine. J’ai encore dû lutter contre ces vestiges de mon ancienne vie de salarié qui m’a marmonné à l’oreille “tu n’es pas assez productif”. Et pourtant en rentrant j’ai abattu une belle charge de boulot. Lutter contre ces anciens réflexes de salariés culpabilisé car il n’est pas assez efficace prend du temps. Mais à la clé, il y a un sacré sentiment d’accomplissement.
Alors ce matin avant d’écrire cet article, j’ai fait du café avec une machine à piston après m’être levé sans réveil. Un geste que j’aime considérer comme quasi militant (et pas juste comme un truc de “bobo” luttant contre les capsules à dosettes). Car entre le temps pour moudre les grains, faire bouillir l’eau, laisser infuser le café (4 minutes selon les règles de l’Art) et le servir, il faut environ 10 minutes.
Mais en même temps, ce café il a le goût du grain que j’ai choisi pour le déguster et que j’ai moulu moi-même : celui de la satisfaction du fait soi-même avec l’implication et le temps nécessaire. Avec cela, j’ai grignoté un morceau de pain aux raisins que j’avais préparé la veille, comptez là encore environ deux heures de préparation.
Quelle est la morale dans tout ça ? Après cela, j’avais l’engouement pour écrire un article fleuve faisait l’éloge de la lenteur. Qu’il me serve à moi ou peut-être à d’autres, je vous laisse seul(e) juge de son rendement et de son efficacité et vous souhaite un bon vendredi !.