Indépendant : bilan après 54 mois

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il y a 2 ans

Chaque année depuis 2018, le 26 septembre marque la date anniversaire de mon lancement en tant qu’indépendant dans la conception de sites internet. Et comme les 4 années précédentes, j’en profite pour publier la rétrospective objective de mon année entrepreneuriale dans cet exercice rédactionnel. Que vous ayez lu ou non l’épisode précédent, je vous souhaite par avance une bonne lecture dans ce retour d’expérience pur de mes aléas quotidiens d’indépendant …

Note : cet article devait initialement sortir en septembre 2022 pour mon 4e anniversaire entrepreneurial. Il sort finalement avec 6 mois de retard car vous allez le voir, l’année 2022 a représenté un véritable défi personnel. Une période qui a reclamé de ma part d’avoir davantage de recul pour pouvoir apporter une conclusion pertinente à cet article.

La cours des grands

Première chose notable dès janvier 2022 : j’ai quitté le statut douillet de la micro-entreprise au profit de celui de la SASU, immatriculant officiellement la société Origarti sous un nouveau SIRET.

Ayant terminé l’année 2021 en micro-entreprise avec un chiffre d’affaire flirtant avec le seuil de TVA, j’ai compris une chose importante en rencontrant celui qui allait devenir mon comptable cette année : le statut de micro-entreprise (et la facilité administrative relative qu’il procure) n’est pas une fin en soi. C’est – à mon sens – un statut idéal pour tester la viabilité d’une activité avant de servir de tremplin vers un statut plus protecteur et mieux penser pour le long terme, si cette activité a vocation à devenir “un projet de vie professionnelle” durable.

Une étape essentiellement symbolique donc mais qui avait pourtant le mérite ( non-négligeable ) de m’interroger sur la suite à donner à cette activité démarrée timidement le 26 septembre 2018 – sans trop savoir ce qui m’attendait à ce moment là – et si elle s’inscrirait ou non dans la durée.

Début janvier, mon comptable pose donc le constat pragmatique suivant : il me reste 12 mois d’ARE non-mobilisés à percevoir de Pôle Emploi sur la cagnotte de 36 mois dont je disposais au départ, pour éventuellement pallier des mois d’activité plus faibles ( mois de “vaches maigres” devenus très rares ).

Il convenait donc de décider de ce que je voulais faire de ces droits ARE :

  • Conserver ces droits ARE en prévision de mois d’activité plus difficiles ou – scénario encore moins réjouissant – de retour au chômage si je décidais de tout plaquer …
  • Liquider en un an mes droits ARE – une bonne fois pour toutes – et les percevoir en tant qu’unique source de revenu et continuer, en parallèle, d’engranger une année de chiffre d’affaires entière pour me constituer une trésorerie confortable pour les aléas de ma vie future d’indépendant en société. En un mot : avoir un an d’avance pour démarrer 2023 sous le statut d’EURL.

Ce qui amène évidemment à résoudre l’équation suivante : est-ce que je compte objectivement un jour retourner au chômage ou bien continuer mon activité d’indépendant “à durée indéterminée” ? Une sorte de “où vous voyez-vous dans les prochaines années ?” que je n’avais pas trop vu venir, enchaînant jusqu’à présent les années d’activité les unes après les autres – au compte goutte – sans trop penser sur le (très) long terme. J’ai opté pour la seconde option, assez intuitivement.

Je dis “intuitivement” car au moment où je dois prendre cette décision, j’ai un carnet de commandes rempli jusqu’à Mars-Avril 2022, confirmant la bonne dynamique des deux années précédentes.

Sans vraiment changer ma façon de travailler, je vois ainsi arriver de plus grosses missions dont certaines à vocation solidaire ou commanditées par des noms “qui en jettent un peu” comme le CNRS, avec le sentiment d’avoir accéder – sans trop savoir comment – à la ligue d’au-dessus. Le tout en continuant à enseigner mon métier à raison d’environ 250 heures entre Septembre 2021 et Juin 2022 au sein d’écoles d’enseignement supérieur, anciennes et nouvelles pour comparer les pratiques en la matière.

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La Batcave

Sur le papier, au moment de démarrer 2022, tous les voyants sont donc “au vert”. Pourtant, de manière insidieuse, je vais enchaîner les projets à une cadence très soutenue, oubliant semaine après semaine, les résolutions prises en 2018 de ménager mon rythme personnel de travail, sans doute grisé par cette montée en gamme. Et c’est là que la machine va commencer à s’emballer.

Arrivé en Avril, je suis quasiment assuré d’égaler – a minima – les 30.000 € de chiffre d’affaires de l’année précédente, largement suffisants pour vivre correctement selon mes habitudes de vie.

Pourtant, la santé mentale peine à retrouver son souffle.

Dans un tel contexte, la décision prise de liquider mes derniers droits ARE pèse très fort sur mes épaules. Si je plaque tout maintenant, je suis parfaitement conscient qu’un retour au salariat en catastrophe risque de me bousiller davantage, car j’ai trop goûté à ma liberté d’entreprendre et prendre mes propres décisions et pour autant, je suis en train de volontairement liquider mes droits au chômage ( et donc un certain filet de sécurité) pour vivre, tout en engrangeant un an de trésorerie d’avance. Vous avez l’image de ce type qui scie la branche sur laquelle il est assis dans les dessins animés ?

À quoi bon si tout s’arrêtait brutalement ?

Alors pour tenir le cap, je m’enferme dans le bureau que j’ai confortablement aménagé dans une pièce de l’appartement que je partage avec ma compagne. Cette pièce devient une véritable forteresse de solitude, me coupant de l’agitation d’un monde qui s’apprête à démarrer une troisième guerre mondiale sous fond de crise climatique, le tout juste après avoir à peine mis derrière lui une pandémie.

Je réponds de moins en moins aux sollicitations de socialisation auprès de mes camarades indépendant(e)s pour ne pas perdre le rythme des projets que j’ai à traiter. Le souffle se fait de plus en plus court, je pressens le moment où je vais m’écraser violemment, connaissant parfaitement ce sentiment de ne plus rien contrôler et risquant à tout moment de finir dans le décor. Les différents cours et interventions sur lesquelles je me suis engagé sont alors le seul “vrai” prétexte que j’ai pour me confronter au monde extérieur et me sociabiliser.

Progressivement, je deviens incapable d’assurer des journées entières de travail. À défaut de savoir tout couper pour mieux revenir, je ralentis drastiquement la voilure – un peu malgré moi – rappelé à l’ordre par l’exigence de ma tête et mon corps de s’arrêter un temps pour se régénérer.

Je peine à trouver une fenêtre de tir pour prendre des congés salutaires et chaque projet supplémentaire devient un col de plus en plus raide à grimper, avec de moins en moins d’élan.

Les mois s’enchaînent ainsi, en mode “survie”, réservant mon énergie aux urgences et obligations. Je tente de répondre présent dans ma vie personnelle mais l’estomac se contracte parfois en pensant au lundi suivant qui réclamera toute mon attention.

“Mais bordel Gaëtan, qu’est-ce que tu fous ? Pourquoi tu es indépendant si tu n’es toujours pas maître de ton Temps et te laisse à nouveau bouffer par les angoisses ?”

Lorsque je me suis lancé, j’ai souvent dit que “l’indépendance était la dernière chance que je donnais à ce métier passionnant qu’est le Design et le Code de m’épanouir”, en l’exerçant à ma manière. Et soudain, je réalise que j’ai totalement perdu cela de vue cette année, au nom d’une pseudo réussite entrepreneuriale, cette résolution fondatrice.

Alors je me fixe un cap : partir un mois entier en Août, me calant sur les congés de ma compagne. Mais avant ça, je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour partir sereinement en ayant évacué les plus grosses emmerdes. Sans trop savoir comment, j’y parviens, me payant même le luxe d’avoir préparé la quasi-totalité de mes cours pour la rentrée scolaire 2022-2023. Excès “de zèle” bien désespéré mais que je ne regrette pas aujourd’hui.

Retour dans “le monde extérieur”

Les vacances faisant leur œuvre, je reviens un peu reposé, ayant pu panser une partie des plaies laissées par ce premier semestre délirant. Je sens tout de même encore que je suis un brin convalescent en revenant car je fatigue encore très vite, comme à la sortie d’une mauvaise grippe.

Je retourne donc dans mon bureau aménagé avec un projet signé avant les vacances. Je me rends compte assez vite que j’opère un peu par automatisme sur ce projet. Je suis content du résultat mais je sens qu’en termes de créativité, je ne suis pas encore revenu à mon maximum. J’évite la prise de risque car j’ai besoin d’un projet “facile” et sans aléas pour reprendre confiance. Une petite victoire pour réenclencher la machine.

Je réalise aussi que la solitude que j’ai moi-même convoquée durant toute l’année est devenue un peu trop séduisante pour être saine : j’esquive les transports et sorties en ville aux heures de pointe, je rase un peu les murs durant les premières réunions pédagogiques en écoles pour me préserver des contacts sociaux, rentrer dans un lieu bondé comme une galerie commerciale réclame de mesurer avant si je suis suffisamment en forme pour cela, etc… Je choisis très ( trop ) souvent la fuite.

Ces comportements d’évitement ont toujours un peu fait partie de moi, même en périodes plus sereines. Je n’aime pas particulièrement “me montrer” professionnellement car je vois dans cet exercice une sorte de futilité égotique beaucoup trop croisé en agences.

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Vacances au pays de Oz

Petit à petit, je reprends donc contact avec mes camarades de longues dates. Je rends notamment visite un midi à mon amie Delphine Mérieau ( également embarquée dans l’aventure Bande à part ) évoluant dans un collectif d’artistes – le collectif Oz – constitué de super nanas illustratrices, graphistes, artistes. Plus qu’une safe-place, elles se sont constituées une famille dont les membres se sont choisis, luxe ultime. Je suis soufflé.

je comprends qu’il me manque quelque chose de mon époque de salariat : l’émulation. Me considérant – non sans une certaine arrogance – comme un loup solitaire, je me pensais à tort immunisé contre le besoin de côtoyer du monde, à l’abri dans ma grotte. Ce fût sans doute la plus grosse erreur personnelle depuis mon lancement.

Toute la question a décortiqué est alors :  je me sens seul parce que j’ai l’impression de peiner à avancer dans mon coin ou bien est-ce l’inverse ?.

Si je suis honnête, je ne déteste pas le contact avec des collègues ou consœurs, je déteste juste le conflit d’intérêt lorsqu’on y mêle de la verticalité hiérarchique inutile.

Comme le destin a régulièrement du bon sens à notre place – pour peu qu’on sache le voir – je vois passer une annonce du Collectif Oz sur les réseaux sociaux. Une place de bureau temporaire s’y libère pour une durée d’un mois. Sans trop réfléchir – car étant bien conscient du fait que je suis mentalement dans une spirale négative à rompre absolument – j’envoie ma candidature pour occuper cette chaise laissée provisoirement vacante par Claire. Dans mon message, j’insiste sur le fait que je ne suis pas là pour m’imposer ou bousculer l’ordre intelligemment établie par les filles, que je veux pouvoir partager avec elles au quotidien. Ayant un rapport un peu contrarié à la masculinité en entreprises, nid à égos despotiques, une part de moi est soulagé d’être accueilli par une équipe entièrement féminine.

Le fait que l’expérience proposée ne dure sur le papier qu’un mois me rassure aussi dans l’idée que si je suis devenu totalement inadapté à côtoyer à nouveaux des collègues, le fiasco ne durera que quelques semaines pour elles comme pour moi. C’est ainsi que les 9 super nanas de Oz acceptent de m’ouvrir leurs portes.

Entretemps, j’ai dû admettre que je ne remonterai la pente ni seul ni en un claquement de doigt : il me faudrait une béquille et du temps. Beaucoup de temps. Pour la béquille, c’est évidemment un médecin qui me la fournit. Pour ce qui est du temps, je suis le seul à pouvoir m’en octroyer.

Je prends donc une décision difficile : ce séjour au Pays d’Oz devra se faire sans prendre de nouveaux projets clients. Il sera thérapeutique et introspectif. Après 4 ans, il était grand temps que je consolide des fondations qui montraient clairement des fissures lézarder les murs sur lesquels mon entreprise reposait : mon offre, mon portfolio, ma communication, mes contributions en ligne. Objectif sans doute un peu trop ambitieux en un mois mais peu importe.

Jour après jour, j’apprends à découvrir ces 9 personnalités bienveillantes. Je reprends goût à retrouver les filles le plus souvent possible durant la semaine. Convalescent de ce qu’on identifiera rapidement comme une dépression, j’échoue certains matins à me lever pour m’y rendre malgré l’envie de les y croiser. La route est encore longue et je le sais pertinemment avec 2 burnouts et 3 démissions avant mes 30 ans.

D’un commun accord, l’expérience au sein de l’équipe se prolonge même jusqu’à fin janvier 2023, renforçant ainsi l’attachement sincère envers cette “Dream team”. Plus la date de mon retour à la réalité approche, plus j’appréhende de me retrouver à la case départ : le retour dans ma forteresse de solitude.

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L’Histoire sans fin

De retour chez moi, la déconvenue est rapide :  je peine très vite à retourner à mon propre bureau. Ce que je craignais se concrétise. Il y aura un avant / après ces “vacances” au pays d’Oz et tout retour à une sédentarité à domicile à temps plein semble compromise pour le moment.

La torpeur fait donc son retour aussi vite qu’elle avait disparue : je suis incapable de me lever à une heure raisonnable le matin, je fais jusqu’à deux siestes par jour, je ne réagis plus que par obligations et urgences plutôt que d’être pro-actif, discipline que j’estimais pourtant avoir toujours eu jusqu’à présent. Sans surprise, la machine se grippe à nouveau. Le symptôme avait provisoirement disparu à Oz mais la cause profonde n’a finalement pas vraiment été soignée durablement.

Comme une ritournelle, mon habituel questionnement “est-ce le métier le problème ou bien ma façon de l’exercer ?” refait surface.

Assurant uniquement les missions démarrées fin 2022 et les cours pour lesquels je me suis engagé des mois auparavant, je me rend compte que j’ai toujours le plaisir d’apprendre et de transmettre. Ouf, le principal serait donc encore intact ! Mais il faut quand même déplacer définitivement certains curseurs pour revenir plus fort.

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Esprit “Shonen”

Après cette année 2022 de l’enfer, commence alors à se dessiner une envie : constituer ma propre famille professionnelle, hors de chez moi. Un projet qui s’affine encore aujourd’hui au moment où j’écris ses lignes. Avec qui ? Dans quel décor ?

En ce qui concerne la transmission, le constat est simple : c’est la seule variable qui a su tenir bon pendant cette période de chaos. Un exercice qui me fait toujours autant grandir mais que je dois consolider. C’est ainsi que l’idée de créer ma propre indépendance vis à vis de la formation commence à germer :

Et si je lançais ma propre formation UI / UX Design ? Une formation en ligne, celle que j’aurai toujours rêvé de suivre en étant étudiant. Reste une grande inconnue : les intéressé.e.s seront-ils bien au rendez-vous ? À vous de me le dire.

À ce jour, les premiers investissements de matériel et l’écriture d’un plan pédagogique pour cette formation UI / UX Design sont en cours.

Mi-mars 2023, mon amie et complice Alix LEROY me propose un défi : m’exposer devant une soixantaine d’indépendants créatifs pour parler du sujet suivant: “IA, automatisation et futur”. La mise à nue et la sortie de la zone de confort est totale mais je m’exécute par défi. L’exercice est, comme pour mes cours, savamment préparé avec mon binôme Corentin mais les doutes d’être un parfait imposteur et la retombée directement après mon passage en est d’autant plus terrible : Je mets 1h à être capable de tenir une conversation convenable et je passe la journée suivante les volets fermés sans voir personne pour récupérer.

Ma consommation d’énergie pour des exercices “simples” est elle-aussi visiblement en pleine inflation, mais j’ai l’impression c’est la tendance générale. Et si on doit compter sur la retraite pour se reposer …

Remerciements :

  • À Margot Varlez de l’ECV Nantes pour son énergie et sa disponibilité et les étudiant.e.s / intervenant.e.s que j’ai eu le plaisir d’y (re)croiser.
  • À Nadège et Flavie de COMWELL.
  • À Vincent ROY de Ennovsys pour sa confiance.
  • À Stéphane CHOUTEAU pour la justesse de ses mots et sa bienveillance.
  • À Yoan BOUCHARD pour ses conseils. Toutes celles et ceux dont j’ai eu l’indélicatesse involontaire d’oublier de les citer

Merci d’avoir eu la patience de me lire aussi longuement. Je vous donne probablement rendez-vous dans un an pour le bilan des 5 années. Prenez soin de vous.

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