Il est admis depuis toujours que les goûts et les couleurs ne s’expliquent pas. Ce postulat de départ a le mérite de nous enseigner que toutes les formes de beauté ou d’esthétique sont parfaitement subjectives et, de fait, parfaitement incompatibles avec l’idée d’en récolter un consensus universel et systématique.
Et pourtant, il y a bel et bien quelque chose pour lequel le bon sens collectif ne transige jamais : Vous ne devez jamais, Ôh grand jamais, utiliser la police d’écriture Comic Sans MS.
Dès lors, que vous soyez en accord ou non avec ce précepte millénaire, vous vous demandez forcément pourquoi cette prohibition autour de cette typographie ? C’est vrai quoi ! Pourquoi une si mauvaise réputation ? Je vais tenter aujourd’hui de vous apporter une réponse exhaustive. Soyons clairs, une mauvaise réputation, cela ne vient jamais tout seul.
Rendre l’informatique ludique
Poursuivons donc notre propos. Vincent Connarre, son inventeur, outre le fait d’avoir probablement eu une enfance faite de brimades et de collibets de la part de ses camarades à cause d’un tel nom de famille, avait pourtant bien commencé sa carrière puisqu’en 1994, le voilà Designer chez Microsoft.
Éternel adolescent qu’il est alors, du haut de ses 34 ans, il tombe sur la version Beta d’un logiciel baptisé Microsoft Bob, ancêtre maladroit et grotesque de l’actuel « gestionnaire de tâches » de Windows, qui utilisait la typographie « Time New Roman« .
Inspirée des comics américains
Convaincu qu’une typographie trop classique ne conviendra pas à un tel programme, il dessine la Comic Sans MS en s’inspirant des caractères de titrages des Comics américains qui trônent alors sur son bureau. « Malheureusement », des contraintes de temps font que sa création n’est finalement pas retenue pour MS Bob.
La Comic Sans est pourtant sauvée de justesse puisque des programmeurs vont la recycler pour Windows 3D Movie Maker, qui embarquent des effets de post-production de style Cartoons du plus bel effet, à n’en pas douter.
Par la suite, et sans trop savoir pourquoi, notre chère police se retrouve propulsée parmi les typographies par défaut de Windows 95. A partir de cet instant, la propagation pouvait débuter…
20 ans plus tard, la Comic Sans MS siège pourtant toujours aussi tranquillement quelque part entre l’Arial et la Helvetica sur nos PC, y compris sur la toute dernière version de Windows 8. Pour mieux comprendre, il convient de remettre les choses dans le contexte du milieu des années 90.
À l’époque, l’ordinateur fait encore peur à ses utilisateurs. On le voit très clairement avec l’interface de MS Bob, la stratégie de Microsoft est de le rassurer avec un graphisme populaire, enfantin et inoffensif.
A ce titre, Comic Sans MS était d’ailleurs utilisée pour certains « pop-up » et messages d’alertes de Windows 95. Reconnaissez tout de même que ses formes rondes et naives dédramatisent la gravité d’un bug chez un utilisateur maladroit, qui transpirent de trouille à la simple évocation du « bug de l’an 2000 » ou du virus I Love You.
Il faut rappeler que lorsque vous ouvriez votre traitement de texte en 1995, vous n’aviez guère de choix en terme de typographie.
Un manque de choix évident de polices
Pas très sexy n’est-ce pas ? Les seules typographies qui paraissent vaguement originales à l’époque sont très nettement la Comic Sans MS et la Webdings, combinaison énigmatique de symboles et de pictogrammes, dessinée par, je vous le donne en mille, Vincent Connarre, au même titre que la Trébuchet MS !
Fatalement, ce qui devait arriver, arriva : faute de choix, Madame Michu, devant concocter des invitations et autres mises en page acrobatiques pour des fêtes d’anniversaires et autre festivités populaires va systématiquement avoir recours à la Comic Sans, vantant son côté « ludique / rigolo ».
A partir de cet instant, il était impossible pour Microsoft de faire marche arrière.
Une typographie « vulgaire »
Dans le fond, c’est le principal reproche que l’on attribue à cette fameuse police : elle est celle du graphiste du dimanche avec toute sa créativité et son goût parfois tout bonnement discutable. Elle est devenue la typographie « vulgaire », au sens premier du terme, par excellence.
En un sens, elle est à la typographie ce que la Ford T ou Volkswagen ont été à la voiture lors de leurs lancements respectifs : La voiture du “peuple”.
Si bien qu’ invariablement, lorsqu’elle est apposée sur un logo pour une marque, la connotation « Low cost » vous sautera immédiatement aux yeux. C’est d’ailleurs le drôle de jeu auquel se sont amusés les types du Comic Sans Project, mouvement militant pour la sauvegarde de cette typographie persécutée.
Vers la rédemption ?
Au-delà de cette connotation, les typographes professionnels lui reprochent, entre autre, un dessin de ses caractères mal conçu, incohérent et surtout le fait qu’elle ne prennent pas en compte les caractères gras ou italiques. Rajoutez à cela une utilisation inadaptée pour du texte courant et vous obtenez une police qui part plutôt mal dans la vie.
Pour la petite histoire, la Comic Sans a eu droit récemment à son lifting puisqu’un petit malin nommé Craig Rozynski s’est amusé à en proposer une refonte dans deux graisses différentes : Comic Neue Regular et Light après avoir fait l’objet d’une collecte de dons via la plateforme de Crowfunding « Kickstarter », qui a rassemblée plus de 10.000$.